Première année de l'école
" La vraie vie " Un week-end par mois, au nord de Toulouse
3-4 novembre 2018 | 1-2 décembre | 26-27 janvier | 23-24 février 30-31 mars | 4-5 mai | 1-2 et 29-30 juin 2019 |
Nous voulons faire de la philosophie, c'est-à-dire penser avec conséquence. Pour cela, nous voulons fonder une école. Or à l’école, habituellement, la pensée est privée de ses conséquences parce qu’elle est coupée de ses conditions. La condition fondamentale de la pensée est la vie. Elle en est aussi l’enjeu le plus profond : parce que la pensée part du vécu et y retourne. Il ne sert à rien d’apprendre la définition de la liberté sans avoir fait l’expérience de l’aliénation et sans chercher à s’en libérer.
C’est ce que l’école tend à nous faire oublier. La pensée y est exposée comme un ensemble de discours, de théories, de doctrines que l’on monnaie contre des notes et des diplômes. Cette pensée terriblement abstraite et désincarnée n’est pas coupée de toute vie – comment le pourrait-elle ? – mais elle s’accorde avec une manière de vivre assez peu enthousiasmante : celle des étudiant·e·s ou des professeur·e·s, c’est-à-dire des salarié·e·s de la pensée. Ce que l’on apprend dans un cours de philosophie est souvent très intéressant et parfois absolument bouleversant, et pourtant on ne sait pas quoi en faire, parce que le désir de savoir n’a pas d’autre conséquence sur le plan existentiel que de devenir un·e professionnel·le de la pensée, c’est-à-dire un·e professeur·e ou un·e intellectuel·le critique. Si à l’inverse on décide de prendre au mot la critique, de rompre avec ce monde et de quitter les bancs de l’école afin de prendre en main ses conditions de vie, il devient difficile de continuer à penser, au sens philosophique du terme, parce que la vie livrée à elle-même produit rarement autre chose que sa propre justification. Assumer les conséquences d’une pensée, c’est mettre en question les conditions matérielles et imaginaires de la vie qui la porte, quitte à les bouleverser. Fonder une école de philosophie ne vise donc pas seulement à transmettre des savoirs ou à les critiquer, mais à forger des outils permettant de donner à nos vies les formes les plus justes. L’école s’inscrit donc dans une perspective qui la dépasse très largement. La manière de manger, d’habiter, de produire ou de construire détermine en effet le type de vie que nous menons, au même titre que la manière dont nous pensons. Là où la société moderne propose un modèle fondé sur la division du travail entre spécialistes, modèle auquel les utopies opposent celui de l’homme total capable de tout faire en une seule journée, il paraît plus juste de reposer la question de l’articulation entre les différentes sphères de l’existence. Une école de philosophie ne saurait donc être indifférente au lieu dans lequel elle se situe et aux activités qui la conditionnent. Or la plupart des espaces que nous connaissons exigent cette indifférence, car chaque tâche fait de l’oubli des autres la condition de sa propre perfection. Les bon·ne·s étudiant·e·s sont ainsi celles et ceux qui savent se rendre suffisamment aveugles au monde pour se concentrer sur leurs études. Le salariat qui confère ensuite à certain·e·s le droit de ne plus avoir à se préoccuper que de penser est une illusion en plus d’être une injustice, car la pensée pure ne se soutient pas d’elle-même ; elle n’aurait plus rien à penser ni plus rien à manger. C’est pourquoi nous devons, si nous voulons restituer à la philosophie sa signification vitale, trouver comment brancher la machine théorique sur la machine agricole, la machine médicale, la machine artisanale, la machine militante, etc. L'école de philosophie se construira dans un lieu où de tels branchements sont possibles. Des lieux où se posent ces questions existent, certain·e·s d’entre nous y vivent, nous allons tenter d’y faire vivre ce désir. Dès lors que la pratique de la philosophie n’a plus pour seul horizon la professionnalisation de la pensée, nous voudrions envisager tous les rapports imaginables de l’existence à la philosophie : des vies qui s’y consacrent pleinement, d’autres qui la traversent un moment et tout l’éventail des possibles entre les deux. Dans tous les cas, c’est ce qu’on appelait dans l’Antiquité la « vie bonne », c’est-à-dire l’interrogation sur la juste manière de mener sa vie, qui est en question. C’est parce que l’on y oublie cette question que l’on produit, dans les universités, un discours souvent aride, parfois obscur, toujours désincarné. À l’inverse, c’est parce que l’on ne pense pas la vie bonne, que l’on cherche pourtant à mener, que l’on a aujourd’hui tant de mal, dans les milieux révolutionnaires, à donner du sens à nos gestes. Il ne s’agit ni de dire comment vivre aux un·e·s, ni de dire quoi faire aux autres. L’école se donne pour tâche de fournir à celles et ceux qui s’interrogent sur la transformation possible et radicale de leurs conditions de vie un espace pour la penser, et de rendre manifeste à celles et ceux qui veulent prendre la philosophie au sérieux la nécessité de se poser la question des conditions matérielles de leur existence. Bref, nous voudrions que les écolier·ère·s puissent déserter et que les déserteur·euse·s puissent aller à l’école. |